Chronique – Une autre économie pour une autre Europe ? de Timothée Duverger

Chronique de Timothée Duverger – 16 Février 2022

« Une autre économie pour une autre Europe ? »

La Commission européenne a présenté son plan d’action pour l’économie sociale le 8 décembre. A la veille de la présidence française de l’Union européenne, sans tambour ni trompette, c’est à une petite révolution qu’elle appelle. On y lit ainsi que « l’économie sociale a le potentiel de remodeler l’économie de l’après-Covid grâce à des modèles économiques inclusifs et durables conduisant à une transformation écologique, économique et sociale plus équitable ».

Ce plan constitue une étape historique pour l’économie sociale, qui n’avait jamais été appréhendée de manière systémique, mais considérée plutôt comme un secteur à développer le plus souvent en lien avec les problèmes d’emploi. Conçu dans le contexte de la crise du Covid-19, il est marqué par les mutations qui lui sont liées. Outre sa contribution à la prospérité économique et sociale, le rôle de l’économie sociale en faveur de la transition écologique et numérique est souligné. La réhabilitation de l’interventionnisme qui accompagne la pandémie va-t-elle changer l’Europe, depuis longtemps soumise au dogme de la concurrence ?

D’autres dossiers semblent l’indiquer, comme les mesures proposées à destination des travailleurs des plates-formes ou les avancées concernant une directive sur le salaire minimum. Si l’économie sociale compte 13,6 millions d’emplois, soit 6,3 % de la population active, des situations très disparates coexistent en Europe. Elle représente entre 9 % et 10 % des emplois en Belgique, en France, au Luxembourg et aux Pays-Bas, mais moins de 2 % chez les nouveaux entrants de l’Union européenne comme Chypre, la Croatie, la Lituanie, Malte, la Roumanie, la Slovaquie et la Slovénie. Cette hétérogénéité explique aussi, non seulement la difficulté à définir l’économie sociale, mais également ses différents niveaux d’institutionnalisation selon les pays. Confié au commissaire européen Nicolas Schmitt, auparavant ministre luxembourgeois en charge de l’Economie sociale, le plan d’action fixe une ambition de convergence et de développement de l’économie sociale à horizon 2030. Sans avancer de chiffre précis, il prévoit une augmentation du budget lui étant consacré (2,5 milliards d’euros entre 2014 et 2020).

La Commission se propose d’assister les Etats membres dans la définition de leurs stratégies et mesures en faveur de l’économie sociale. Elle prépare pour cela en collaboration avec l’OCDE des lignes directrices sur les cadres juridiques appropriés. Sur les 27 Etats membres, seuls 8 ont par exemple déjà adopté entre 2008 et 2016 des lois qui lui sont dédiées : Belgique (au niveau régional), Espagne, Portugal, France, Roumanie, Italie, Grèce et Luxembourg. Pour créer un environnement favorable, la Commission cherche également à assouplir le droit de la concurrence en facilitant l’accès aux incitations fiscales, aux aides d’Etat (subventions, aides à l’embauche de travailleurs défavorisés), ainsi qu’aux marchés publics comme privés. Ne pas louper le coche L’économie sociale est également placée au cœur de la feuille de route économique de l’Europe. Elle figure ainsi parmi les quatorze écosystèmes de sa stratégie industrielle, en vue notamment de renforcer les compétences et la reconversion des travailleurs.

Pour son développement, la Commission souhaite mobiliser des financements privés à travers le programme Invest EU (garanties permettant l’accès au crédit, investissements en fonds propres ou quasi-fonds propres, investissements en capital dans des intermédiaires financiers), des mécanismes de co-investissement avec des fondations ou l’intégration d’objectifs sociaux à la taxonomie européenne pour la finance durable. La Commission veut enfin lier plus étroitement l’économie sociale à la transition écologique (notamment l’économie circulaire) et numérique, favoriser le déploiement des innovations sociales et encourager le développement de l’économie sociale sur les territoires (zones rurales, clusters industriels). Ces intentions pourront compter sur le soutien traditionnel du Parlement européen et du Comité économique et social européen. Mais pour se concrétiser, elles devront être portées par les Etats eux-mêmes. Une recommandation du Conseil est espérée en 2023, pendant la présidence espagnole de l’Union européenne. Mais une étape importante aura lieu ce jeudi lors du Conseil des ministres de l’UE en charge de l’économie sociale.

Le changement de configuration politique en Allemagne est porteur. La nomination de Sven Giegold comme secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Economie et de la Protection du climat en Allemagne, après avoir coprésidé l’intergroupe économie sociale du Parlement européen, en atteste. Les alliances historiques entre les pays latins – en particulièrement la France, l’Espagne, le Portugal la Belgique ou encore l’Italie – sont toujours actives. Tout l’enjeu du Conseil des ministres de jeudi sera ainsi de soutenir le plan d’action et de proposer, dans ses conclusions, une définition de l’économie sociale, préalable à sa diffusion dans toute l’Europe. Si la France a été à l’origine de la prise en compte de l’économie sociale par l’Europe dès 1989 pendant la Commission Delors, il lui faut aujourd’hui redevenir cette force motrice. Elle doit pour cela parvenir à un consensus autour d’une définition de l’économie sociale comprenant les acteurs sans capital social (associations, fondations, mutuelles) ainsi que les entreprises coopératives ou sociales qui bénéficient déjà d’une reconnaissance de l’Union européenne (article 58 du Traité de Rome pour les premières et règlement sur le changement social et l’innovation sociale pour les secondes).

Plus généralement, les Etats seront appelés à afficher leur soutien au plan d’action pour que sa mise en œuvre soit à la hauteur des attentes qu’il suscite. La France a longtemps défendu l’idée d’une autre Europe, une Europe sociale. Le plan d’action européen sur l’économie sociale lui offre une opportunité qu’elle a rarement eue. Espérons qu’aujourd’hui elle ne la laisse pas passer. 

Timothée Duverger, Maître de conférences associé à Sciences Po Bordeaux – (source Alternatives Economiques)

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