Chronique Michel Cabannes La crise agricole (Février 2024)

La crise agricole (Février 2024)

La crise agricole (février 2024) La révolte actuelle des agriculteurs est d’abord la conséquence des politiques qui ont promu un modèle productiviste, dont les effets sociaux et écologiques sont destructeurs.

Des politiques productivistes et inégalitaires.

Les politiques depuis 1945 ont visé la modernisation de l’agriculture, la croissance de la productivité par la mécanisation, les intrants chimiques, le remembrement, la spécialisation et la concentration des exploitations.

Dans un premier temps, ces politiques furent clairement protectionnistes, d’abord au plan national, puis après 1962 au plan européen avec la création de la PAC (politique agricole commune). Celle-ci était alors basée sur le soutien des revenus par les interventions sur les prix des marchés (prix garantis, stocks régulateurs, quotas). Ce dispositif, qui était coûteux et inégalitaire, a permis à l’Europe agricole de devenir autosuffisante et exportatrice nette.

Dans un second temps, après 1992, la PAC a pris un tournant néolibéral. D’une part, l’ouverture de l’agriculture aux marchés mondiaux par la réduction des protections douanières, puis l’élargissement de l’UE, ont intensifié la concurrence. D’autre part, les mécanismes d’intervention sur les marchés ont disparu : le soutien des prix a été remplacé par des aides liées à la taille des exploitations (2003), ce qui a maintenu leur caractère inégalitaire : 80% des aides sont captées par 20% des exploitations au niveau européen.

La mutation productiviste de l’agriculture.

La concurrence accrue a intensifié la course au rendement, le productivisme, l’intensité capitalistique et l’agrandissement des exploitations. On assiste à la fin du monde paysan remplacé par l’agriculture d’entreprise. L’agriculture a réalisé d’importants gains de productivité : en France, la valeur crée par an et par travailleur agricole a quasiment été multipliée par 3 en 30 ans, passant de 20000$ en 1990 à 58000$ en 2020. Le volume de travail agricole a chuté, passant de 2,4 millions à 700000 emplois équivalents temps plein de 1970 à 2020. Le nombre d’exploitations agricoles a été divisé par 4 depuis 1970 pour atteindre 390000 en 2020.

Depuis le début des années 2000, le modèle productiviste, en marge de ses dégâts environnementaux, rencontre des difficultés croissantes du fait du ralentissement des gains de productivité et, parfois, de la demande mondiale.

La crise sociale de l’agriculture.

Dans ces conditions, les agriculteurs dénoncent une situation qui ne permet pas à beaucoup d’entre eux de vivre de leur travail. Ils subissent à la fois un rapport de forces défavorable dans les négociations de prix avec les grandes firmes, une concurrence internationale inégale liée à des disparités de normes sociales ou environnementales, et parfois un « effet de ciseau » en période de baisse des prix et de hausse des coûts.

De plus, l’activité agricole apparait comme la plus inégale des professions. En France, le revenu courant annuel avant impôt des agriculteurs est supérieur à 150000€ pour les 10% les plus aisés et inférieur à 15000€ pour les 10% les plus pauvres, ce qui les situe en dessous du SMIC horaire compte tenu de leur durée de travail. Les inégalités sont fortes suivant les filières (rapport de 1 à 6 entre les revenus moyens des éleveurs bovins et caprins et ceux des éleveurs porcins). Les réponses du gouvernement français à la crise actuelle ne sont pas à la hauteur du problème social agricole. Par ailleurs, les mesures pour une autre agriculture sont très insuffisantes (subventions à l’agriculture bio, mesures agro environnementales climatiques MAEC)

Une politique agricole alternative devrait viser à garantir un revenu décent pour les agriculteurs par la fixation de prix minimums rémunérateurs, une maitrise des volumes par exploitant, une protection extérieure par l’activation de clauses de sauvegarde. Il faudrait des plans d’urgence pour les filières en crise (agriculture bio, viticulture, fruits et légumes) et l’encadrement des marges des firmes contractantes. Enfin, les aides devraient être redéployées en faveur des petites exploitations et des formes d’agriculture non productiviste.

Michel Cabannes, Economiste (ex Enseignant Université de Bordeaux)

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