Chronique – Le spectre de la tronçonneuse libertarienne – Michel Cabannes (Janvier 2025)

Chronique – Le spectre de la tronçonneuse libertarienne – Michel Cabannes (Janvier 2025)

Le courant libertarien, jusqu’alors connu seulement des initiés, a subitement acquis la notoriété lors de l’accès au pouvoir en Argentine fin 2023 de Milei qui a brandi une tronçonneuse pour trancher dans le vif des dépenses publiques. La victoire de Trump aux Etats-Unis conduit au pouvoir Elon Musk qui partage les mêmes conceptions pour la réduction massive des dépenses de l’Etat fédéral.

Les libertariens progressent paradoxalement dans certains milieux en tirant profit des échecs et des déceptions causées par les politiques inspirées par des formes moins extrêmes de néolibéralisme. 

Les libertariens, extrémistes du néolibéralisme

Les libertariens constituent une variante extrême du néolibéralisme.

Celui-ci est une nébuleuse qui vise la libération des forces du marché avec des différences sur le rôle de l’Etat. Il comprend l’école autrichienne ultra-libérale (Friedrich Hayek), le monétarisme (Milton Friedman), les nouveaux classiques (Robert Lucas), les ordo-libéraux allemands (concurrence libre et non faussée) et des néokeynésiens, les derniers courant souhaitant un soutien public.

Les libertariens sont des ultralibéraux qui ont la détestation de l’Etat. Robert Nozick, inspiré par Hayek, prône un Etat minimal limité à des fonctions sécuritaires, pour ne pas violer les droits naturels des individus. Murray Rothbard, partisan d’un anarcho-capitalisme autoproclamé, considère que l’Etat est illégitime, que l’impôt, c’est le vol, et que même les fonctions régaliennes doivent relever du secteur privé.

Les dégradations produites par les politiques néolibérales.

Les politiques d’inspiration néolibérale depuis plus de 40 ans, axées sur la mondialisation, la financiarisation, les dérèglementations et les privatisations, ont contribué à des dégradations économiques : un ralentissement des gains de la productivité du travail, la détérioration des finances publiques, la montée de l’endettement public et privé et souvent la désindustrialisation. Elles ont aussi causé des dégâts sociaux, surtout depuis la crise de 2008, avec la croissance des inégalités, de la précarité et de la pauvreté. Le fameux « ruissellement » à partir des hausses des profits et des hauts revenus n’a évidemment pas eu lieu. Les résultats économiques ont généré des insatisfactions dans les milieux favorisés et les résultats sociaux ont suscité des colères dans les milieux populaires. 

L’instrumentalisation des dégradations par les libertariens.

Les libertariens instrumentalisent ces retombées économiques et sociales.

– D’une part, ils capturent les mécontentements des victimes des politiques néolibérales. Comme ils contestent radicalement l’Etat, ils peuvent apparaitre comme des contestataires « antisystème ». Mais c’est une escroquerie intellectuelle car ils s’en prennent surtout à l’Etat social (cf. la critique de « l’assistanat »), ce qui sert les intérêts du capital.

– D’autre part, ils capturent l’insatisfaction d’une fraction des « élites » qui déplore que les réformes néolibérales soient restées au milieu du gué dans la chasse aux dépenses publiques et aux réglementations. D’où la prescription de mesures radicales dans ces deux domaines. Les libertariens ont le soutien aux secteurs du capitalisme de rente aux Etats-Unis (high tech et numérique, cryptomonnaies, fonds d’investissement, gaz de schiste). En Europe, la politique de la tronçonneuse séduit une partie de la droite politique (dont Eric Ciotti, Valérie Pécresse) et médiatique (dont Le Point). 

Une option destructrice de la société.

En Argentine, la politique de la tronçonneuse de Milei a fait chuter les dépenses publiques (-15%), le nombre de fonctionnaires (-33000), les aides sociales et le financement scolaire. Elle a supprimé le déficit public et freiné l’inflation (de 211% à 107% de décembre 2023 à octobre 2024) au prix de la baisse du pouvoir d’achat des salariés, de la consommation et du PIB (-3,5% en 2024) ainsi que de l’explosion de la pauvreté (de 41,7% à 52,9%) et des situations d’indigence (de 11,9% à 18,1%).

La voie libertarienne est une dangereuse fuite en avant du néolibéralisme. Pour défendre l’ordre économique existant et augmenter la rentabilité du capital et le revenu des plus riches, elle s’apprête à détruire les solidarités qui font encore tenir debout nos sociétés.

Michel Cabannes, Economiste (membre du Café Economique de Pessac)


 

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