Chronique de Michel Cabannes « L’évasion fiscale : un vrai « pognon de dingue » (février 2023) »

Chronique de Michel CABANNES (Février 2023)

L’évasion fiscale : un vrai « pognon de dingue »

Un phénomène devenu structurel. 

L’évasion fiscale est une stratégie d’évitement de l’impôt en plaçant les avoirs financiers dans des pays à fiscalité avantageuse sans s’y expatrier. Elle englobe la fraude fiscale (illégale) et l’«optimisation fiscale» (légale). Elle a prospéré avec la mondialisation financière grâce à la dérèglementation. 

– Les bénéficiaires sont des riches particuliers et les firmes multinationales. Des individus fortunés, des criminels et des personnalités dissimulent leurs avoirs par des sociétés écrans dans des paradis fiscaux avec l’aide d’intermédiaires (banques, cabinets de conseils, avocats) comme le montre la litanie des révélations publiques récentes (Offshore Leaks, Luxembourg Leaks, Panama Papers, Paradise Papers, Pandora Papers…). Les multinationales localisent leurs profits artificiellement dans les paradis fiscaux, en manipulant les prix de transferts entre filiales et négocient des conventions fiscales très avantageuses. 

– Les destinataires sont les paradis fiscaux. Ils ont un secteur financier développé, des taux d’imposition nuls ou faibles, des pratiques favorables au secret bancaire et à l’impunité judiciaire et des avantages fiscaux sans exiger de réelle activité sur place. Ils se situent dans des iles lointaines (iles Caïman, Bahamas…) souvent dépendant de grands centres financiers (City de Londres), mais aussi en Europe (Luxembourg, Pays Bas) et aux Etats Unis (Delaware).  

– La persistance de l’évasion fiscale et des paradis fiscaux résulte de plusieurs causes : le lobbying des multinationales, l’influence des riches particuliers, la complicité des grands centres financiers, le soutien des gouvernants à leurs firmes et les désaccords entre Etats pour y mettre un terme. L’évasion fiscale est devenue un facteur structurel de la rentabilité du capital.   

Une atteinte aux droits humains économiques. 

– Un appauvrissement massif des Etats. 

L’évasion fiscale représente « un pognon de dingue ». Au niveau mondial, les avoirs cachés dans les paradis fiscaux s’élèveraient à 8700 milliards $ (Gabriel Zucman). La part des profits internationaux des firmes logés dans les paradis fiscaux est passée de moins de 2% dans les années 1970 à près de 40% aujourd’hui. L’évasion fiscale des multinationales coûterait aux Etats environ 500 milliards de $ par an. Les Etats des pays en développement perdent presque 2 fois plus que les pays riches en proportion de leurs recettes. Les pays africains perdent près de 90 milliards d’€ chaque année du fait de flux financiers illicites. 

– … au détriment de la satisfaction des besoins. 

L’évasion fiscale prive les Etats de ressources cruciales pour financer les services publics nécessaires pour les besoins essentiels (éducation, santé, logement), la réduction des inégalités et la défense du climat. C’est un crime humanitaire dans les pays du Sud où les besoins sont immenses. 

– … et au détriment de la justice fiscale. 

L’évasion fiscale rend les systèmes fiscaux plus injustes. Cela implique le report de l’impôt vers ceux qui ne peuvent la pratiquer : des plus riches vers les contribuables aux revenus plus modestes et des multinationales vers les PME. Cela mine la solidarité nationale et les fondements des systèmes démocratiques.   

Le chantier de la transparence 

Au niveau des paradis fiscaux, des progrès ont concerné le secret bancaire (2010) et à l’échange automatique entre Etats d’informations sur les comptes (2014). Mais les sociétés écrans et les trusts dissimulent  l’identité des propriétaires. Il faut que l’UE crée des registres publics complets et accessibles des véritables propriétaires. 

Au niveau des multinationales, la transparence nécessite le « reporting pays par pays public » : la publication par les firmes des informations sur la répartition de leurs activités et de leurs impôts. La directive de l’UE (2021) est insuffisante : la publication se limite aux pays membres et à des paradis fiscaux d’une liste lacunaire. Il faut obliger les firmes à publier des informations sur l’ensemble de leurs activités et de leurs impôts.   

Le chantier de la fiscalité des multinationales. 

. L’accord promu par l’OCDE (2021) inclut 2 volets. Le pilier 1 prévoit la taxation des bénéfices dans les pays où les multinationales réalisent leurs ventes. Cela ne concerne qu’une part restreinte des bénéfices d’une centaine de firmes. Le pilier 2 prévoit un taux minimum d’imposition de 15% des bénéfices logés à l’étranger par les multinationales. Cela pourrait rapporter 220 milliards $ d’après l’OCDE (9% des recettes mondiales de l’impôt sur les sociétés). Mais le taux est trop bas pour prévenir toute l’évasion fiscale et il risque d’accélérer une course à la baisse des taux vers 15%. La réforme va bénéficier surtout aux pays riches qui vont récupérer la plus grande partie des recettes.

– Il est nécessaire d’aller plus loin. Il faut créer une taxation unitaire des multinationales (taxer le bénéfice global et le répartir d’après les activités) à un taux effectif suffisant de l’ordre 25%. Il faut créer un organisme fiscal à l’ONU (représentation égalitaire) et une Convention internationale sur la fiscalité.  

A terme, l’intérêt général de l’humanité nécessitera une mobilisation auprès des dirigeants politiques ayant pour objectif l’élimination des paradis fiscaux.  

 

Un film à voir au Cinéma Jean Eustache de Pessac  « La (très) grande évasion » de Yannick Kergoat le Mercredi 26 avril 2023 suivi d’un débat animé par l’Association Le Café Economique de Pessac 

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